En pleines primaires de droite et de gauche, affaire Fillon », campagne présidentielle qui commence, et j’en passe, nous vivons une période d’intense activité et de sur-médiatisation politique. Cela alimente chez certains de nos clients, que ce soit en coaching ou en thérapie, des mécanismes de stress, d’angoisse, voire de peur ou de colère. Et ils arrivent en séance emplis de toutes ces émotions qui peuvent venir « parasiter » leur travail ou, en tout cas, qui l’orientent de façon particulière et lui donnent une nouvelle couleur.

Beaucoup d’enjeux et de sujets sont mis en exergue au travers de cette thématique hautement sensible ! Cela fait émerger chez nos clients du « différent ». Certains sont plein de convictions, d’autres sont désengagés mais se posent néanmoins des questions. Certains voudraient s’engager, faire quelque chose et d’autres voudraient ne plus y penser. Certains sont atterrés, d’autres en colère. Quoi qu’il en soit, il y a du mouvement : ça foisonne, ça s’anime, ça vit.

Même si ce n’est pas complètement évident et serein pour la coach et thérapeute que je suis, l’expérience est intéressante.

Je me propose dans cet article de partager avec vous des questionnements qui valent pour les thèmes politiques bien sûr, mais aussi plus largement quand un client arrive avec des avis, des positions qui sont différents des nôtres. Ou tout simplement quand il vient avec des émotions très fortes, voire explosives.

Si vous êtes un professionnel de l’accompagnement, ces interrogations vous parleront sans doute. Si vous êtes un ou une accompagné(e), cela vous donnera un aperçu de ce qui peut se passer à l’intérieur de votre coach ou thérapeute.

La Gestalt-thérapie représente pour la psychologie une force de rébellion humaniste et existentielle qui veut lutter contre les puissances de répression et d’autodestruction qui gouvernent beaucoup de membres de notre société.

— Fritz Perls, fondateur de la Gestalt Thérapie —

UN PRÉ-CONTACT PARTICULIER

Quand ma cliente, d’ordinaire calme, posée, souriante et ouverte arrive ce jour-là agitée, stressée et en colère parce que « c’est inadmissible ce qu’il se passe dans cette campagne présidentielle !!! », mes émotions et mes ressentis internes se sont agités, quelques tensions corporelles ont pointé le bout de leur nez. Quel était cet « inadmissible » ? L’inadmissible de ma cliente et le mien étaient-ils les mêmes ? Je me suis ralentie pour prendre le temps d’interroger cet « inadmissible ».

L’inadmissible de ma cliente concernait l’acharnement médiatique et judiciaire dont étaient victimes certains candidats, le fait qu’on ne les laisse pas exposer leurs programmes, ce qui générait chez elle l’amenuisement de l’espoir de voir ses idées s’incarner dans les résultats des élections à venir … d’où stress, angoisse, colère …

UN QUESTIONNEMENT INTERNE FOISONNANT

Que je sois d’accord avec elle ou pas n’avait pas vraiment d’importance, ce n’était pas le sujet du film, mais cette situation m’a amenée à m’interroger sur la posture à tenir dans pareil cas.

— Quelle attitude adopter ? — Jusqu’où va le dévoilement du thérapeute qui est l’un des aspects de la posture gestaltiste ? — Que se passe-t-il si je partage les idées de ma cliente ? — Et si mes propres idées sont à l’opposé des siennes ? — Comment répondre à un « Et toi, tu en penses quoi » ? — Le dévoilement peut-il être productif ou sera-t-il contre-productif ? — Comment allons-nous travailler dans cet espace tendu à l’extrême, plus proche de la cocotte minute sous pression que de l’océan tranquille ? — Quel lien faire avec l’objet de son coaching ou de sa thérapie ? — Puis-je oser la confrontation dans cet espace hautement sensible qui touche ses convictions et ses valeurs profondes ? — Comment faire pour ne pas « botter en touche » [1] en tentant d’aller explorer un autre sujet que celui qui émerge si fortement ? — Comment gérer l’inconfortable de cette situation ? —

Je ne souhaite pas apporter de réponses toutes faites à ces questionnements, ils sont fonction de la personnalité, de l’approche et de la posture de chaque thérapeute, et également en fonction de l’alliance qui nous relie.

Autant d’intervenants + autant de clients = autant de possibles !

ACCUEILLIR LA NOUVEAUTÉ

La femme face à moi ce jour-là me présente une facette d’elle très différente de celles que je connais. J’ai la conscience qu’il ne faut pas grand chose pour que ça dérape, voire que ça explose.

Je repense à l’une de nos formatrice de l’EPG [2], et finalement je me dis : « Comme il est intéressant ce nouveau qui émerge entre nous dans ce début de séance ! »

EN FAIRE QUELQUE CHOSE

L’une des thématiques que nous travaillons depuis quelques temps porte sur les modes de relation au monde et de communication aux autres que met en place cette cliente. Et nous regardons comment tout cela l’impacte, la mobilise, la bouleverse parfois.

Pour rester au plus près d’elle et de ce qu’elle vit, je choisis de m’attacher au processus à l’œuvre :

— Que se passe-t-il, là, entre nous, dans ce démarrage de séance ? — Comment pouvons-nous aller l’une vers l’autre, tendre la main à l’autre, créer et maintenir la relation, avec nos différences et nos similitudes, en nous respectant chacune et en respectant l’autre ? — Qu’est-ce que cette violence qui émerge dit d’elle et de son histoire, de sa façon d’être au monde quand un grain de sable vient se coincer dans les rouages ? — Comment peut-elle laisser vivre toutes les facettes de sa personnalité, de ses idées, de ses opinions, sans agresser l’autre et en restant dans la relation, pour apprendre à l’autre et apprendre de l’autre ? —

ALLIANCE, BIENVEILLANCE,
TOLÉRANCE À L’AUTRE ET NON JUGEMENT

Si le travail a pu avoir lieu ce jour-là, si ma cliente n’est pas partie en début de séance (ce qu’elle m’a avouée avoir eu envie de faire), c’est grâce à l’alliance extrêmement forte que nous avons co-construite pas-à-pas depuis notre rencontre.

Cette alliance est nourrie de ce qui fait sens pour moi dans la posture gestaltiste : accueil de l’autre, écoute phénoménologique [3], acceptation de « ne plus savoir » [4] pour laisser la place à la nouveauté de ce qui émerge, recherche de sens, bienveillance, tolérance face à la singularité de l’autre, absence de jugement, respect, et co-construction.

Je crois que le travail que j’effectue est un travail politique. Quand j’œuvre avec les gens pour qu’ils pensent d’une manière autonome et s’extraient de la confluence avec la majorité, il s’agit d’un travail politique. Et cela a de l’influence, même si nous ne pouvons travailler qu’avec un nombre limité de personnes.

— Laura Perls —

J’AI AIMÉ …

J’ai aimé cette séance.

J’ai aimé voir ma cliente s’apaiser, se passionner, s’ouvrir dans notre contact et nos différences.
J’ai aimé voir cette vie foisonnante en elle, même quand elle s’exprime de façon plus chaotique que d’habitude.
J’ai aimé la voir s’ouvrir à plus de possibles relationnels, à la fluidité de la relation, à d’autres façons d’être et de faire.
J’ai aimé la voir passer d’un « contre » à un « avec ».
J’ai aimé regarder s’abaisser doucement le rideau sur lequel un panneau disait « Fermé ! Passez votre chemin ! » … pour laisser entrer le dialogue, les sourires et la relation avec l’autre.
J’ai aimé sentir mon awareness [5] s’apaiser, se déployer, se transformer le temps de cette séance, et voir celle de ma cliente faire de même.

Et finalement, n’est-ce pas là notre mission de coach ou de thérapeute : amener nos clients à mettre de la conscience, à regarder leur responsabilité dans ce qu’ils vivent, à explorer d’autres façons d’être, à s’ouvrir à plus de possibles, à mettre du mouvement là où c’est figé, … le tout, sans jugement de notre part, sans attentes particulières, sans notions manichéennes, … juste en étant là, au plus près de ce qu’ils vivent ?

Et finalement, n’est-ce pas là ce que nos clients viennent chercher : s’apaiser et se découvrir différemment, sans se renier ni renier leurs idées, en apprenant à vivre avec de façon plus sereine et ajustée ?

[1] Dans notre jargon, nous parlons de déflexion qui est un évitement du contact. Elle est l’un des 5 mécanismes de régulation que tout être humain peut mettre en œuvre pour s’ajuster au mieux à ce qu’il vit. La Gestalt ne voit pas ces mécanismes de façon négative car tout individu fait au mieux de ce qu’il peut faire à un instant donné, mais plutôt comme des tentatives d’ajustement, tantôt appropriées, tantôt non ajustées.

[2] EPG : Ecole Parisienne de Gestalt

[3] Livre : Ne plus savoir, Phénoménologie et éthique de la psychothérapie. Jacques Blaize. L’Exprimerie. Collection : Bibliothèque de Gestalt Thérapie.

[4] Awareness : On la définit comme la connaissance immédiate et implicite de ce qui se passe dans le champ, c’est-à-dire un genre de fulgurance émotionnelle et corporelle qui nous informe que quelque chose se passe et nous mobilise. Les praticiens gestaltistes, qu’ils soient thérapeutes ou coachs lui prêtent une grande attention.

[!] Dans un soucis de confidentialité, la situation présentée est un mélange de plusieurs situations rencontrées. Mes clients ont donné leur accord pour la publication de cet article. Merci à eux !